samedi 8 juin 2013

Interview - Somepling

 

Il y a quelques jours, j'ai eu l'immense plaisir d'interviewer le talentueux beatmaker Français Somepling, dont j'avais vanté le travail ici, ici et . J'ai maintenant le plaisir de vous la retranscrire ! Bonne lecture à toutes et à tous ! :-)
_____________________________

HipHop Hourra : Bonjour Somepling, ça va ?
Somepling : Oui, ça va ?
3H : Ça va très bien. Tout d'abord, est-ce que tu pourrais te présenter pour nos lecteurs de HipHop Hourra ?
S : Oui : Somepling, Olivier Rousseaux de mon vrai nom, je suis un producteur Rennais; j'habite en tout cas la région rennaise pour le moment. Je fais essentiellement du Hip Hop instrumental.
3H : Oui, tu as commencé à quel âge à en faire ?
S : Ça fait un bout de temps. J'ai fait de la musique avant de faire du Hip Hop avec le sampleur : de la musique un peu plus traditionnelle, avec des instruments. J'ai dû réellement commencer début 2000 : j'ai acheté un premier sampleur, un SP-303, de Roland. J'ai découvert la musique sur l'ordinateur au départ : j'ai commencé à composer comme ça, sur la base du copier-coller, mais c'était de l'expérimentation, un genre de brouillon.
3H : C'est là que tu t'es entraîné on va dire ?
S : Voilà c'est ça oui. J'utilisais le magnétophone du PC de mes parents : je parlais dans le micro, j'enregistrais et je recomposais tout ça, avec un peu de batterie. Mais c'était beaucoup plus simple après sur le sampleur.
3H : Eh bien ça tombe bien, j'avais justement une question à propos du matériel que tu utilisais.
S : J'utilise uniquement le sampler Akaï MPC 2000 XL et rien d'autre. Juste ça, une platine vinyle et une table de mixage pour equalizer les samples.
3H : On pourrait dire de ta musique que c'est du Hip Hop instrumental assez "smooth", un peu "chill", c'est toujours compliqué de ranger la musique dans des cases; c'est pourquoi je vais te demander si tu es d'accord avec ces termes-là, et si tu pourrais donner ta propre définition de ta musique et de ce que tu veux faire ressentir à travers elle ?
S : Moi je considère ça comme du Hip Hop car je fais la même chose que ce que certaines personnes avant moi ont pu faire, c'est à dire le sample, le digging, la recherche de disques etc. Enfin après il y a de nombreux artistes que j'idolâtre, notamment DJ Shadow, on ne peut pas le ranger dans des cases non plus : quand on lui dit qu'il fait du Trip-Hop, il pète un câble. À priori je fais du Hip Hop instrumental, mais ça peut sonner jazzy, ça peut sonner smooth, ça peut sonner funky aussi... Je sais que c'est beaucoup plus simple pour les gens aujourd'hui de classer dans des cases, sur internet on "taggue" beaucoup aussi : les mots clé etc. Ça simplifie la vie mais pas tant que ça, car tu te rends compte qu'il y a énormément de métissages dans la musique. Donc ce n'est pas simplement du Rock, ce n'est pas simplement du Funk, de la Soul ou du Hip Hop, c'est beaucoup plus, à chaque fois.
3H : Surtout que la musique se mélange tellement de plus en plus, qu'on en viendrait à se demander si il ne faudrait pas carrément arrêter de mettre des cases ?
S : Eh bien en fait, c'est dommage de dire ça, mais je pense que c'est la FNAC et Virgin qui ont fait ça : ranger la musique dans des cases afin de commercialiser en masse. Pour parler au plus grand nombre, coller des étiquettes c'est la manière la plus simple de ranger. Dans un monde un peu meilleur j'pense qu'il n'y aurait que des disquaires indépendants et il n'y aurait plus de grands magasins... Ça arrivera peut-être un jour parce que le disque est en train de se casser la gueule; mais je ne sais pas si ça changera quelque chose par rapport à cette histoire de classement de styles et de genres.
3H : Et d'ailleurs, toi tu t'autoproduis, tu fais tes propres disques, c'est ça ?
S : Pour les deux disques vinyle, oui c'est une autoproduction : je mets l'argent au départ sur le projet. Ce sont des projets un peu risqués.
3H : C'est la passion musicale avant tout quoi.
S : Voilà. Là c'est un format 30 cm, c'est un format plus grand, produit à 250 exemplaires; ça a donc été encore plus cher. On verra ce que ça donne... Pour l'instant j'en vends, mais les ventes ralentissent au bout d'un moment; je commence à voir comment ça fonctionne. Bon après je suis pas Jay-Z, donc je vendrai jamais autant de disques que lui, en tout cas pas pour le moment; et 250 disques c'est beaucoup et pas beaucoup à la fois.
3H : D'où l'importance de parler du projet, pour ceux qui l'ont aimé. Sur le net par exemple.
S : C'est vrai que le gros côté positif d'Internet c'est que c'est communautaire : dès que quelqu'un sort un son qu'il trouve intéressant, il le diffuse, il le partage. Ça fait avancer le truc, ça permet de faire connaître un petit peu les artistes. La musique s'est démocratisée. Il y a vraiment énormément de personnes qui essaient d'enfoncer des portes, de rentrer là-dedans; peut-être pas d'en vivre totalement mais en tout cas de vendre des disques... et c'est vraiment pas simple.
3H : Je voulais te demander si nous aurons bientôt le plaisir d'écouter un long format de ta part ? Ça serait peut-être compliqué à vendre ?
S : Eh bien j'y pense pas mal, c'est un projet qui verra le jour, je sais pas quand. De toute façon je ne le ferai pas tout seul, un album complet ça demande beaucoup trop d'argent au départ. Là je passe du 45 tours au 30 cm, j'ai fait des musiques un peu plus longues aussi : ça approche les 5 mn...
3H : Oui, ça je l'ai remarqué, ça fait plaisir.
S : On me l'avait demandé en fait, à la suite du 45 tours : "Pourquoi tu lâches pas une piste un tout p'tit peu plus longue ?", donc voilà là le format s'y prête aussi; ça permet de raconter des histoires un peu plus longues quoi.
3H : C'est un vrai délice pour les oreilles.
S : Bah je te remercie ! Sinon l'album j'y pense, mais c'est beaucoup plus compliqué à travailler : travailler sur un album ça demande beaucoup de temps et je veux en sortir un qui en vaille vraiment la peine. En tout cas c'est comme ça que je le conçois et je pense qu'il ne faut pas le faire en deux mois.
3H : Je suppose que pour produire de la bonne musique, ça demande du temps...
S : Oui, ça demande du temps et ça demande de s'isoler, de sortir un petit peu de la réalité. Parce que quand tu commences à avoir un gamin, une vie de famille bien chargée, des amis etc, ça devient un peu difficile de s'isoler parfois. Donc oui ça demande du temps aussi. Pour l'album, j'aimerais bien en sortir un cette année, mais il faudrait me mettre vraiment dedans. De toute façon je sais que lorsque l'album sera composé, par la suite il faudra le mixer et le masteriser, puis démarcher des labels. Je pense qu'autour de moi je peux trouver des gens pour bosser dessus, notamment Guts, je sais pas si tu le connais ?
3H : Oui, de nom.
S : Je suis notamment en lien avec lui, et ça fait plusieurs fois qu'il me propose de travailler sur un album... On pourrait travailler sur le mixage ensemble. Ce serait bien, mais pour ça il faudrait que j'aie beaucoup de pistes avec de la matière, pour l'instant ce n'est pas le cas mais c'est en projet en tout cas.
3H : À propos de collaborations, j'aurais voulu savoir aussi si tu comptais collaborer avec des rappeurs, chanteurs ? Bien que ta musique se suffise à elle-même.
S : En fait j'en ai fait quelques-unes, une avec un rappeur américain : Sleaze, une avec un beatmaker anglais : Mecca:83; et une avec un beatmaker Français : Keor Meteor. C'est quelque chose que j'aime bien faire, mais ça fait quelques temps que je n'en ai pas fait. C'est un exercice intéressant mais quand c'est toi qui produis et que c'est le mec qui pose son truc, c'est pas facile parce que tu as le gars qui fait du son d'un côté (la plupart du temps dans l'arrière-plan), et le rappeur qui est devant... C'est pas hyper simple. Je suis pas très enthousiaste à l'idée de travailler sur tout un album avec beaucoup de voix dessus...
3H : C'est pas la même vision en fait ?
S : Oui c'est un petit peu différent. Enfin après ça dépend : si c'est du rap pur et simple, d'accord c'est intéressant, mais bon la musique pourrait aller beaucoup plus loin quoi. Je te donne un exemple au hasard, le mec au lieu de faire un rap, il fait une poésie. Il y a des morceaux qui pourraient vraiment se construire sur une base différente de la base classique Hip Hop. Après j'ai des idées mais voilà, comme tout le monde j'en fais 5%.
3H : C'est déjà très bien !
S : Ouais, c'est déjà pas mal ! On essaie d'en faire beaucoup déjà, mais je pense qu'on est tous d'accord pour dire que notre vie est vraiment trop courte. Mais sinon pour en revenir au sujet, oui les voix c'est quelque chose d'intéressant à travailler.
3H : Moi, si je t'ai posé cette question c'est vraiment par curiosité, mais si je devais donner mon avis, franchement je préfère ta musique telle qu'elle est : instrumentale.
S : Je n'ai pas expérimenté suffisamment de choses pour être sûr que c'est le bon chemin... Je n'ai pas l'impression de révolutionner la musique non plus, mais je pense que la direction n'est pas mauvaise. À l'époque j'étais fan de Mo'Wax, j'étais fan de Shadow, enfin je le suis toujours, fan de ces années 90 et de ce Hip Hop abstract. J'ai pas forcément décidé de rentrer là-dedans, ça arrive au fur et à mesure des écoutes que je peux faire des disques que j'achète. Ça se fait naturellement : j'écoute des disques, ça me plaît, je décide de sampler, ça prend telle forme... Tu rajoutes un autre sample par dessus, les samples se nourrissent les uns les autres. Ça avance tout seul comme ça petit à petit, et ce n'est pas une direction que j'ai décidé volontairement de prendre.
3H : Ça se fait tout seul quoi, c'est un peu à l'instinct ?
S : Ben à l'instinct mais surtout selon les humeurs que j'ai. C'est à dire que selon que je sample du Miles Davis ou du Duke Ellington, ça sonnera différemment que si j'achète du Sun Ra ou autre chose. Ou même dans un autre domaine que le Jazz : si j'achète beaucoup de Soul ou de Funk, ça aura des sons un peu plus funky quoi, logiquement.
3H : Du coup il y a un côté un petit peu aléatoire, c'est sympa ça.
S : Ben c'est pour ça que je travaille uniquement à base de samples : c'est pas par simplicité, c'est parce que je trouve réellement que ça nourrit la musique. Aujourd'hui tu peux avoir un logiciel, des milliards de samples, des kits de batterie et tout; mais si tu te forces à aller chercher des samples dans des disques un peu planqués, un peu obscurs, je pense que ça sonnera peut-être plus naturel.
3H : Oui, si tu veux mon avis, je trouve que les musiques à base de samples sonnent en général plus "naturel", plus "organique", et sont plus humaines que celles composées à base de logiciels sans samples.
S : C'est pour ça que j'ai fait cette démarche-là. Enfin, en plus du fait que je n'arriverais pas à travailler sur ordinateur : ça a un côté bureaucratique...
3H : Un peu froid aussi ?
S : Ouais, c'est froid, c'est épuré, tu n'as pas de contact, contrairement à la MPC où tu touches les pads. Enfin voilà j'essaie de décortiquer tout ça, de rechercher des boucles intéressantes. Mais ça se fait de manière assez simple. Je me suis jamais posé la question de savoir si je devais changer de matériel, parce que c'est une MPC... À la grande époque du Hip Hop ils utilisaient des MPC, des Emu...
3H : Une SP-1200 ?
S : Voilà, les mecs allaient au plus simple. Quand tu vas au plus simple et que tu fais ça avec tes tripes, y'a un résultat, y'a quelque chose qui ressort.
3H : Et en plus y'a un vrai "grain".
S : Ouais, enfin la MPC 2000 XL, c'est pas la meilleure machine pour le grain. Mais la 60 et la 3000 c'est sûr qu'il y a un grain... La 2000 XL a un son un petit peu plus métallique que les deux autres MPC. J'avais entendu que Shadow samplait la piste centrale de ses vinyles, pour ajouter un petit côté "velours", "chaleureux" à ses morceaux.
3H : Ah oui, il sample les sillons silencieux ?
S : Oui, en fait quand tu samples des CD parfois, le son est bon, mais il est aussi un peu lisse. Pour lui amener un petit côté "humain", avec des petits incidents, des petites erreurs, on peut faire ça. J'ai rien inventé, c'est une technique que j'avais vu une fois, et je trouvais que ça marchait bien... Sinon, comme je te le disais au début, à une époque j'ai eu le SP-303, mais je l'ai revendu au bout de deux mois parce que j'trouvais que le son était absolument merdique : tu rentrais quelque chose dedans et quand tu le sortais eh bien c'était un son dégueulasse mais vraiment sale, pas dans le bon sens du terme quoi. Donc voilà maintenant je travaille sur 2000 XL, et c'est vrai que le matériel peut faire que ton son est bon ou pas. Je l'ai achetée à l'époque sans savoir vraiment où j'allais, car c'était la MPC de l'époque.
3H : J'aimerais savoir où tu te situes d'un point de vue commercial : est-ce que tu cherches une grosse maison pour être diffusé en radio ou même clipé; ou est-ce que tu veux juste faire ton truc en mode "undercover" ?
S : Eh bien... C'est pas vraiment un choix en fait. Si je pouvais être sur un gros label électronique ou Hip Hop, je le ferais, mais ça demande de démarcher, d'être dans une démarche de recherche. Et surtout d'être prêt pour faire des concerts. Il faut aussi être sûr que ta vie sera entièrement dédiée à la musique. Moi elle l'est déjà, mais par amour de la musique. Quand tu le fais d'une manière professionnelle c'est différent et je sais pas si je suis forcément prêt pour ça... Aujourd'hui, je fais de la musique parce que ça plait et que je peux le faire, mais j'ai pas de projet pour dans plus de deux mois. Je sais pas ce que je ferai par la suite au niveau des projets, y'en aura d'autres mais ça dépend vraiment de l'instant. La musique je la fais vraiment d'une manière passionnée donc je me pose pas vraiment la question. Au début, de 2003 jusqu'à 2010, je m'étais posé la question : "Comment je fais pour vivre de ça et être connu ?" Mais à la suite de ça je me suis dit "Fais simplement ce que tu veux pour l'instant, si tu peux le diffuser autour de toi c'est cool; l'important c'est qu'il y ait quelques personnes qui soient intéressées déjà". Donc là je vais pas te mentir, si il y avait un gros label qui était intéressé par mes disques et par ce que je fais, je le ferais oui.
3H : Et plutôt lequel ? Plutôt quel style de label en fait ?
S : Ben là je dirais Ninja Tune sans vraiment réfléchir, ce serait un label intéressant. Ils sortent tellement de choses, ils font à la fois du Hip Hop et à la fois de l'électronique, ce sont des gens qui sont ouverts. J'ai beaucoup écouté et c'est intéressant, c'est expérimental...
3H : C'est varié aussi.
S : C'est varié, je dis Ninja Tune mais y'a tellement de labels qui font de la musique intéressante. Je dis Ninja Tune parce que c'est très gros. Quand tu y vas et que tu lances un album, tu es sûr d'être tranquille... Tu as un budget pour le studio, tu as un budget pour aller acheter des disques, etc. Signer c'est eux c'est un peu...
3H : ...un peu la consécration peut-être ? Pour finir, est-ce que tu aurais un dernier mot, un message que tu voudrais transmettre aux lecteurs de HipHop Hourra, à ceux qui écoutent déjà ta musique ou à ceux qui vont la découvrir ?
S : Ben écoute, je remercie toutes les personnes qui sont passées par là, par le blog; parce que si ils arrivent là c'est qu'ils sont passionnés quelque part. Et puis je remercie notamment toi, Jyuza que j'avais eu en mail, je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à ma musique car comme je te le disais, sans oreille pour faire entendre les choses, c'est différent... Un peu triste peut-être. C'est pas le même délire. Je l'ai fait pour moi pendant très longtemps et je me suis aussi posé la question de diffuser ma musique pendant très longtemps. C'est arrivé à un moment comme ça, je me suis dit "Tu verras bien ce que ça donne". En fait ça peut donner l'impression qu'il y a beaucoup de passages, beaucoup d'écoutes mais en fait je suis vraiment dans l'underground de l'underground.
3H : Eh bien, je n'ai plus qu'à te souhaiter que ça s'améliore grandement et que tu aies de plus en plus d'écoutes et d'auditeurs, parce que tu le mérites.
S : Eh bien je te remercie en tout cas. Bon les écoutes c'est pas ça qui pêche, mais les ventes... j'aimerais bien que ça parte plus vite. Mais je vois toujours les mêmes noms, les mêmes gens qui achètent ma musique, et ça ça fait plaisir parce que ça veut dire que je fais des choses qui sonnent pour certaines personnes. /

2 commentaires:

Jyuza a dit…

Lourd !!!
Somepling, c'est un bon: un gars vrai qui s'prend pas la tête et disponible surtout.
Bon travail Cheeky ;)

Cheeks a dit…

Merci Jyu, et encore merci à Somepling bien sûr pour m'avoir donné de son temps libre.
Je plussoie tes propos : un vrai artiste très cool, comme on aimerait en croiser souvent.