Il y a quelques jours, j'ai eu l'immense plaisir d'interviewer le talentueux beatmaker Français Somepling, dont j'avais vanté le travail
ici,
ici et
là. J'ai maintenant le plaisir de vous la retranscrire ! Bonne lecture à toutes et à tous ! :-)
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HipHop Hourra : Bonjour
Somepling, ça va ?
Somepling : Oui, ça va ?
3H : Ça va très bien. Tout
d'abord, est-ce que tu pourrais te présenter pour nos lecteurs de HipHop Hourra
?
S : Oui : Somepling, Olivier
Rousseaux de mon vrai nom, je suis un producteur Rennais; j'habite en tout cas
la région rennaise pour le moment. Je fais essentiellement du Hip Hop
instrumental.
3H : Oui, tu as commencé à
quel âge à en faire ?
S : Ça fait un bout de temps.
J'ai fait de la musique avant de faire du Hip Hop avec le sampleur : de la
musique un peu plus traditionnelle, avec des instruments. J'ai dû réellement
commencer début 2000 : j'ai acheté un premier sampleur, un SP-303, de Roland.
J'ai découvert la musique sur l'ordinateur au départ : j'ai commencé à composer
comme ça, sur la base du copier-coller, mais c'était de l'expérimentation, un
genre de brouillon.
3H : C'est là que tu t'es
entraîné on va dire ?
S : Voilà c'est ça oui.
J'utilisais le magnétophone du PC de mes parents : je parlais dans le micro,
j'enregistrais et je recomposais tout ça, avec un peu de batterie. Mais c'était
beaucoup plus simple après sur le sampleur.
3H : Eh bien ça tombe bien, j'avais
justement une question à propos du matériel que tu utilisais.
S : J'utilise uniquement le
sampler Akaï MPC 2000 XL et rien d'autre. Juste ça, une platine vinyle et une
table de mixage pour equalizer les samples.
3H : On pourrait dire de ta
musique que c'est du Hip Hop instrumental assez "smooth", un peu
"chill", c'est toujours compliqué de ranger la musique dans des
cases; c'est pourquoi je vais te demander si tu es d'accord avec ces termes-là,
et si tu pourrais donner ta propre définition de ta musique et de ce que tu
veux faire ressentir à travers elle ?
S : Moi je considère ça comme
du Hip Hop car je fais la même chose que ce que certaines personnes avant moi
ont pu faire, c'est à dire le sample, le digging, la recherche de disques etc.
Enfin après il y a de nombreux artistes que j'idolâtre, notamment DJ Shadow, on
ne peut pas le ranger dans des cases non plus : quand on lui dit qu'il fait du
Trip-Hop, il pète un câble. À priori je fais du Hip Hop instrumental, mais ça
peut sonner jazzy, ça peut sonner smooth, ça peut sonner funky aussi... Je sais
que c'est beaucoup plus simple pour les gens aujourd'hui de classer dans des
cases, sur internet on "taggue" beaucoup aussi : les mots clé etc. Ça
simplifie la vie mais pas tant que ça, car tu te rends compte qu'il y a
énormément de métissages dans la musique. Donc ce n'est pas simplement du Rock,
ce n'est pas simplement du Funk, de la Soul ou du Hip Hop, c'est beaucoup plus,
à chaque fois.
3H : Surtout que la musique se
mélange tellement de plus en plus, qu'on en viendrait à se demander si il ne
faudrait pas carrément arrêter de mettre des cases ?
S : Eh bien en fait, c'est
dommage de dire ça, mais je pense que c'est la FNAC et Virgin qui ont fait ça :
ranger la musique dans des cases afin de commercialiser en masse. Pour parler
au plus grand nombre, coller des étiquettes c'est la manière la plus simple de ranger.
Dans un monde un peu meilleur j'pense qu'il n'y aurait que des disquaires
indépendants et il n'y aurait plus de grands magasins... Ça arrivera peut-être
un jour parce que le disque est en train de se casser la gueule; mais je ne
sais pas si ça changera quelque chose par rapport à cette histoire de
classement de styles et de genres.
3H : Et d'ailleurs, toi tu
t'autoproduis, tu fais tes propres disques, c'est ça ?
S : Pour les deux disques
vinyle, oui c'est une autoproduction : je mets l'argent au départ sur le
projet. Ce sont des projets un peu risqués.
3H : C'est la passion musicale
avant tout quoi.
S : Voilà. Là c'est un format
30 cm, c'est un format plus grand, produit à 250 exemplaires; ça a donc été
encore plus cher. On verra ce que ça donne... Pour l'instant j'en vends, mais
les ventes ralentissent au bout d'un moment; je commence à voir comment ça
fonctionne. Bon après je suis pas Jay-Z, donc je vendrai jamais autant de
disques que lui, en tout cas pas pour le moment; et 250 disques c'est beaucoup
et pas beaucoup à la fois.
3H : D'où l'importance de
parler du projet, pour ceux qui l'ont aimé. Sur le net par exemple.
S : C'est vrai que le gros
côté positif d'Internet c'est que c'est communautaire : dès que quelqu'un sort
un son qu'il trouve intéressant, il le diffuse, il le partage. Ça fait avancer
le truc, ça permet de faire connaître un petit peu les artistes. La musique
s'est démocratisée. Il y a vraiment énormément de personnes qui essaient
d'enfoncer des portes, de rentrer là-dedans; peut-être pas d'en vivre
totalement mais en tout cas de vendre des disques... et c'est vraiment pas
simple.
3H : Je voulais te demander si
nous aurons bientôt le plaisir d'écouter un long format de ta part ? Ça serait
peut-être compliqué à vendre ?
S : Eh bien j'y pense pas mal,
c'est un projet qui verra le jour, je sais pas quand. De toute façon je ne le
ferai pas tout seul, un album complet ça demande beaucoup trop d'argent au
départ. Là je passe du 45 tours au 30 cm, j'ai fait des musiques un peu plus
longues aussi : ça approche les 5 mn...
3H : Oui, ça je l'ai remarqué,
ça fait plaisir.
S : On me l'avait demandé en
fait, à la suite du 45 tours : "Pourquoi tu lâches pas une piste un tout
p'tit peu plus longue ?", donc voilà là le format s'y prête aussi; ça
permet de raconter des histoires un peu plus longues quoi.
3H : C'est un vrai délice pour
les oreilles.
S : Bah je te remercie ! Sinon
l'album j'y pense, mais c'est beaucoup plus compliqué à travailler : travailler
sur un album ça demande beaucoup de temps et je veux en sortir un qui en vaille
vraiment la peine. En tout cas c'est comme ça que je le conçois et je pense
qu'il ne faut pas le faire en deux mois.
3H : Je suppose que pour
produire de la bonne musique, ça demande du temps...
S : Oui, ça demande du temps
et ça demande de s'isoler, de sortir un petit peu de la réalité. Parce que
quand tu commences à avoir un gamin, une vie de famille bien chargée, des amis
etc, ça devient un peu difficile de s'isoler parfois. Donc oui ça demande du
temps aussi. Pour l'album, j'aimerais bien en sortir un cette année, mais il
faudrait me mettre vraiment dedans. De toute façon je sais que lorsque l'album
sera composé, par la suite il faudra le mixer et le masteriser, puis démarcher
des labels. Je pense qu'autour de moi je peux trouver des gens pour bosser
dessus, notamment Guts, je sais pas si tu le connais ?
3H : Oui, de nom.
S : Je suis notamment en lien
avec lui, et ça fait plusieurs fois qu'il me propose de travailler sur un
album... On pourrait travailler sur le mixage ensemble. Ce serait bien, mais
pour ça il faudrait que j'aie beaucoup de pistes avec de la matière, pour
l'instant ce n'est pas le cas mais c'est en projet en tout cas.
3H : À propos de
collaborations, j'aurais voulu savoir aussi si tu comptais collaborer avec des
rappeurs, chanteurs ? Bien que ta musique se suffise à elle-même.
S : En fait j'en ai fait
quelques-unes, une avec un rappeur américain : Sleaze, une avec un beatmaker
anglais : Mecca:83; et une avec un beatmaker Français : Keor Meteor. C'est quelque
chose que j'aime bien faire, mais ça fait quelques temps que je n'en ai pas
fait. C'est un exercice intéressant mais quand c'est toi qui produis et que
c'est le mec qui pose son truc, c'est pas facile parce que tu as le gars qui
fait du son d'un côté (la plupart du temps dans l'arrière-plan), et le rappeur
qui est devant... C'est pas hyper simple. Je suis pas très enthousiaste à
l'idée de travailler sur tout un album avec beaucoup de voix dessus...
3H : C'est pas la même vision
en fait ?
S : Oui c'est un petit peu
différent. Enfin après ça dépend : si c'est du rap pur et simple, d'accord
c'est intéressant, mais bon la musique pourrait aller beaucoup plus loin quoi.
Je te donne un exemple au hasard, le mec au lieu de faire un rap, il fait une
poésie. Il y a des morceaux qui pourraient vraiment se construire sur une base
différente de la base classique Hip Hop. Après j'ai des idées mais voilà, comme
tout le monde j'en fais 5%.
3H : C'est déjà très bien !
S : Ouais, c'est déjà pas mal
! On essaie d'en faire beaucoup déjà, mais je pense qu'on est tous d'accord
pour dire que notre vie est vraiment trop courte. Mais sinon pour en revenir au
sujet, oui les voix c'est quelque chose d'intéressant à travailler.
3H : Moi, si je t'ai posé
cette question c'est vraiment par curiosité, mais si je devais donner mon avis,
franchement je préfère ta musique telle qu'elle est : instrumentale.
S : Je n'ai pas expérimenté
suffisamment de choses pour être sûr que c'est le bon chemin... Je n'ai pas
l'impression de révolutionner la musique non plus, mais je pense que la
direction n'est pas mauvaise. À l'époque j'étais fan de Mo'Wax, j'étais fan de
Shadow, enfin je le suis toujours, fan de ces années 90 et de ce Hip Hop
abstract. J'ai pas forcément décidé de rentrer là-dedans, ça arrive au fur et à
mesure des écoutes que je peux faire des disques que j'achète. Ça se fait
naturellement : j'écoute des disques, ça me plaît, je décide de sampler, ça
prend telle forme... Tu rajoutes un autre sample par dessus, les samples se
nourrissent les uns les autres. Ça avance tout seul comme ça petit à petit, et
ce n'est pas une direction que j'ai décidé volontairement de prendre.
3H : Ça se fait tout seul
quoi, c'est un peu à l'instinct ?
S : Ben à l'instinct mais
surtout selon les humeurs que j'ai. C'est à dire que selon que je sample du
Miles Davis ou du Duke Ellington, ça sonnera différemment que si j'achète du
Sun Ra ou autre chose. Ou même dans un autre domaine que le Jazz : si j'achète
beaucoup de Soul ou de Funk, ça aura des sons un peu plus funky quoi,
logiquement.
3H : Du coup il y a un côté un
petit peu aléatoire, c'est sympa ça.
S : Ben c'est pour ça que je
travaille uniquement à base de samples : c'est pas par simplicité, c'est parce
que je trouve réellement que ça nourrit la musique. Aujourd'hui tu peux avoir
un logiciel, des milliards de samples, des kits de batterie et tout; mais si tu
te forces à aller chercher des samples dans des disques un peu planqués, un peu
obscurs, je pense que ça sonnera peut-être plus naturel.
3H : Oui, si tu veux mon avis,
je trouve que les musiques à base de samples sonnent en général plus
"naturel", plus "organique", et sont plus humaines que
celles composées à base de logiciels sans samples.
S : C'est pour ça que j'ai
fait cette démarche-là. Enfin, en plus du fait que je n'arriverais pas à
travailler sur ordinateur : ça a un côté bureaucratique...
3H : Un peu froid aussi ?
S : Ouais, c'est froid, c'est
épuré, tu n'as pas de contact, contrairement à la MPC où tu touches les pads.
Enfin voilà j'essaie de décortiquer tout ça, de rechercher des boucles
intéressantes. Mais ça se fait de manière assez simple. Je me suis jamais posé
la question de savoir si je devais changer de matériel, parce que c'est une
MPC... À la grande époque du Hip Hop ils utilisaient des MPC, des Emu...
3H : Une SP-1200 ?
S : Voilà, les mecs allaient
au plus simple. Quand tu vas au plus simple et que tu fais ça avec tes tripes,
y'a un résultat, y'a quelque chose qui ressort.
3H : Et en plus y'a un vrai
"grain".
S : Ouais, enfin la MPC 2000
XL, c'est pas la meilleure machine pour le grain. Mais la 60 et la 3000 c'est
sûr qu'il y a un grain... La 2000 XL a un son un petit peu plus métallique que
les deux autres MPC. J'avais entendu que Shadow samplait la piste centrale de
ses vinyles, pour ajouter un petit côté "velours",
"chaleureux" à ses morceaux.
3H : Ah oui, il sample les
sillons silencieux ?
S : Oui, en fait quand tu
samples des CD parfois, le son est bon, mais il est aussi un peu lisse. Pour
lui amener un petit côté "humain", avec des petits incidents, des
petites erreurs, on peut faire ça. J'ai rien inventé, c'est une technique que
j'avais vu une fois, et je trouvais que ça marchait bien... Sinon, comme je te
le disais au début, à une époque j'ai eu le SP-303, mais je l'ai revendu au
bout de deux mois parce que j'trouvais que le son était absolument merdique : tu
rentrais quelque chose dedans et quand tu le sortais eh bien c'était un son
dégueulasse mais vraiment sale, pas dans le bon sens du terme quoi. Donc voilà
maintenant je travaille sur 2000 XL, et c'est vrai que le matériel peut faire
que ton son est bon ou pas. Je l'ai achetée à l'époque sans savoir vraiment où
j'allais, car c'était la MPC de l'époque.
3H : J'aimerais savoir où tu
te situes d'un point de vue commercial : est-ce que tu cherches une grosse
maison pour être diffusé en radio ou même clipé; ou est-ce que tu veux juste
faire ton truc en mode "undercover" ?
S : Eh bien... C'est pas
vraiment un choix en fait. Si je pouvais être sur un gros label électronique ou
Hip Hop, je le ferais, mais ça demande de démarcher, d'être dans une démarche
de recherche. Et surtout d'être prêt pour faire des concerts. Il faut aussi
être sûr que ta vie sera entièrement dédiée à la musique. Moi elle l'est déjà,
mais par amour de la musique. Quand tu le fais d'une manière professionnelle
c'est différent et je sais pas si je suis forcément prêt pour ça...
Aujourd'hui, je fais de la musique parce que ça plait et que je peux le faire,
mais j'ai pas de projet pour dans plus de deux mois. Je sais pas ce que je
ferai par la suite au niveau des projets, y'en aura d'autres mais ça dépend
vraiment de l'instant. La musique je la fais vraiment d'une manière passionnée
donc je me pose pas vraiment la question. Au début, de 2003 jusqu'à 2010, je
m'étais posé la question : "Comment je fais pour vivre de ça et être connu
?" Mais à la suite de ça je me suis dit "Fais simplement ce que tu
veux pour l'instant, si tu peux le diffuser autour de toi c'est cool;
l'important c'est qu'il y ait quelques personnes qui soient intéressées déjà".
Donc là je vais pas te mentir, si il y avait un gros label qui était intéressé
par mes disques et par ce que je fais, je le ferais oui.
3H : Et plutôt lequel ? Plutôt
quel style de label en fait ?
S : Ben là je dirais Ninja
Tune sans vraiment réfléchir, ce serait un label intéressant. Ils sortent
tellement de choses, ils font à la fois du Hip Hop et à la fois de
l'électronique, ce sont des gens qui sont ouverts. J'ai beaucoup écouté et
c'est intéressant, c'est expérimental...
3H : C'est varié aussi.
S : C'est varié, je dis Ninja
Tune mais y'a tellement de labels qui font de la musique intéressante. Je dis
Ninja Tune parce que c'est très gros. Quand tu y vas et que tu lances un album,
tu es sûr d'être tranquille... Tu as un budget pour le studio, tu as un budget
pour aller acheter des disques, etc. Signer c'est eux c'est un peu...
3H : ...un peu la consécration
peut-être ? Pour finir, est-ce que tu aurais un dernier mot, un message que tu
voudrais transmettre aux lecteurs de HipHop Hourra, à ceux qui écoutent déjà ta
musique ou à ceux qui vont la découvrir ?
S : Ben écoute, je remercie
toutes les personnes qui sont passées par là, par le blog; parce que si ils
arrivent là c'est qu'ils sont passionnés quelque part. Et puis je remercie
notamment toi, Jyuza que j'avais eu en mail, je vous remercie pour l'intérêt
que vous portez à ma musique car comme je te le disais, sans oreille pour faire
entendre les choses, c'est différent... Un peu triste peut-être. C'est pas le
même délire. Je l'ai fait pour moi pendant très longtemps et je me suis aussi
posé la question de diffuser ma musique pendant très longtemps. C'est arrivé à
un moment comme ça, je me suis dit "Tu verras bien ce que ça donne".
En fait ça peut donner l'impression qu'il y a beaucoup de passages, beaucoup
d'écoutes mais en fait je suis vraiment dans l'underground de l'underground.
3H : Eh bien, je n'ai plus
qu'à te souhaiter que ça s'améliore grandement et que tu aies de plus en plus
d'écoutes et d'auditeurs, parce que tu le mérites.
S : Eh bien je te remercie en
tout cas. Bon les écoutes c'est pas ça qui pêche, mais les ventes... j'aimerais
bien que ça parte plus vite. Mais je vois toujours les mêmes noms, les mêmes
gens qui achètent ma musique, et ça ça fait plaisir parce que ça veut dire que
je fais des choses qui sonnent pour certaines personnes. /